Si vous croyez que les tout-petits sont comme les poissons rouges, qu’ils redécouvrent leur bocal toutes les trois secondes et que, pour eux, le passé n’existe pas, vous allez être épatés… Nawal Abboub est docteure en neurosciences cognitives de l’université Sorbonne-Paris-Cité, spécialiste du cerveau des bébés et, aujourd’hui, elle va nous parler de la mémoire.
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la mémoire ?
Nawal Abboub : La mémoire est l’une des grandes fonctions mentales de l’être humain. C’est elle qui nous permet d’encoder et de stocker des informations dans notre cerveau, et donc d’avoir des souvenirs… Et c’est aussi ce qui permet de faire tous nos apprentissages. Pour résumer, on peut dire que chaque information prend la forme d’un petit signal électrique qui parcourt les neurones et forme des sortes de ponts entre eux. C’est grâce à ces connexions qui se forment entre les neurones que l’on va pouvoir enregistrer des connaissances et des souvenirs. Nous n’avons pas un seul centre de la mémoire dans notre cerveau. Chaque zone cérébrale est concernée et correspond à un type de mémoire bien précis.
Et les bébés alors, c’est pareil pour eux ?
N. A. : Oui, le fonctionnement est très similaire à celui de l’adulte. D’ailleurs, s’ils n’avaient pas du tout de mémoire, ils seraient tout simplement incapables d’apprendre quoi que ce soit. Ces dernières années, les scientifiques ont prouvé que les bébés avaient bien une mémoire et qu’elle était déjà bien fonctionnelle.
Mais comment ont-ils fait de tels bonds ?
N. A. : En menant des expériences. L’une d’elles, très parlante, a été réalisée en 2011 à Trieste, en Italie, par Silvia Benavides et son équipe. Ces chercheurs ont observé des bébés âgés de 2 à 5 jours et ont posé des petits capteurs sur leur tête. Dans une première étape, ils leur ont donc fait écouter des sons bisyllabiques, pendant six minutes.
Ils ont ensuite fait une pause de deux minutes.
Puis, ils ont séparé les nourrissons en deux groupes, pour mesurer leur activité cérébrale. Au premier groupe, ils leur ont fait écouter les syllabes qu’ils avaient précédemment entendues.
En menant des expériences. L’une d’elles, très parlante, a été réalisée en 2011 à Trieste, en Italie, par Silvia Benavides et son équipe. Ces chercheurs ont observé des bébés âgés de 2 à 5 jours et ont posé des petits capteurs sur leur tête. Dans une première étape, ils leur ont donc fait écouter des sons bisyllabiques, pendant six minutes.
Ils ont ensuite fait une pause de deux minutes.
Puis, ils ont séparé les nourrissons en deux groupes, pour mesurer leur activité cérébrale. Au premier groupe, ils leur ont fait écouter les syllabes qu’ils avaient précédemment entendues.
Et au second groupe, des syllabes totalement nouvelles, qu’ils n’avaient jamais entendues. Or, les scientifiques se sont aperçus que les bébés du premier groupe avaient retenu les syllabes.
Mais comment l’ont-ils concrètement constaté ?
N. A. : Grâce à des capteurs posés sur la tête des nourrissons, ils ont pu repérer que le cerveau des bébés réagissait différemment si on leur présentait un son familier ou un son nouveau.
Quand le son était nouveau, le taux d’oxygène présent dans le cerveau augmentait. Cela témoignait d’une importante activité cérébrale : le cerveau se mettait un peu en route pour essayer de comprendre le son jamais entendu auparavant.
Au contraire, quand le son avait été déjà entendu par les bébés quelques minutes auparavant, l’activité cérébrale était moins forte. Ce qui veut dire qu’ils n’avaient rien de nouveau à traiter. Ce qui est fabuleux, c’est que les zones du cerveau où l’on voyait ces différences du taux d’oxygène correspondaient aux zones qui, chez l’adulte, sont exactement dédiées au traitement du langage et à la mémorisation des mots.
Donc les bébés ont déjà un système de mémoire à court terme bien en place ?
N. A. : Tout à fait.
Ce que nous montrent ces résultats, c’est que la capacité des bébés à encoder et stocker une nouvelle information est déjà présente à la naissance.
Et ce qui est vrai pour la mémoire à court terme l’est également pour tout autre type de mémoire… Évidemment, ces compétences ne sont pas aussi développées que chez l’adulte. Mais elles vont augmenter au cours des premières années. À force d’entraînement, la mémoire va devenir de plus en plus puissante, car les connexions entre les neurones vont se multiplier et se renforcer.
Est-ce que les parents peuvent cultiver la mémoire de leur tout-petit ?
N. A. : Ils peuvent l’aider à développer sa mémoire en lui parlant, en nommant des objets autour de lui et en l’incitant à le faire aussi. Plus ils seront dans l’interaction avec leur bébé, en lui posant des questions, en répondant aussi à ses questions, plus celui-ci apprendra et musclera sa mémoire.
Propos recueillis par Elise Rengot.
Sources :
Memory in the Neonate Brain S. Benavides-Varela
https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0027497
Newborn’s brain activity signals the origin of word memories
https://www.pnas.org/content/109/44/17908.short